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Alin Anseeuw, Le chagrin de Matisse

19/8/2013

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Paru dans Traversées
Quand Alin Anseeuw a vu le « Chagrin du roi » de Matisse à sa porte il l’a laissé entré. Jamais peut-être ne fut-il si proche d’un tableau qui pourtant l’éloignait de lui-même. Le tableau n’était plus dehors mais dedans. Le tableau était chez celui qui se sentit soudain étranger à lui-même. Le roi devenait à coup de papiers colorés puis découpés par Matisse l’homme intérieur, celui qui traverse le poète et le fait parler. Non par identification ou transfert. Mais parce qu’à travers ce roi en souffrance le monde des images touche au fond de l’âme par effet de surface.

D’où ce texte fascinant, aussi rythmé que méditatif où l’image n’a d’autre référent que son intensité. Car si le sens des papiers collés peut être, par la diversité même de leur assemblage, réversible, le sens du tableau qu’ils composent devient solide. L’ensemble créé par recomposition est rempli mais libre. Sa langue devient par l’organisation de Matisse une énigme un jeu de vie et de mort, de pouvoir et de faiblesse.

Par ses agencements l’artiste a créé la peinture hors d’elle-même. Appliquée directement elle n’aurait été qu’un non-être ou aurait empêché le passage d’un sens particulier. Par la nature même de la création la conscience du roi se dépouille de sa royauté. Elle touche une forme de néant au milieu pourtant d’un scintillement de signes.

Une telle technique permet de privilégier un regard différent sur toute l’histoire de la peinture et de la représentation. En ce sens Matisse n’allait-il pas plus loin qu’un Malevitch ? Ce dernier traita la non peinture par son absence, le vide par le désert. C’était là d’une certaine manière une commodité de la conversion picturale.

Chez Matisse il existe à la fois la mort d’une certaine peinture mais sans la perte de la distance avec ce qu’elle est. C’est bien là tout le miracle de la « re-présentation » dans sa prise de distance avec la représentation au devers d’une simple disparition ou d’un effacement.

D’où ce saut ardent à l’intérieur de la peinture. Le roi est (presque) mort et nu mais en même temps il sort de son rôle. Matisse laisse surgir l’homme intérieur né d’autres lambeaux que ceux que la royale engeance revêt. Ceux de Matisse leur donnent une intensité relative qui devient absolue dans le royaume de la peinture.

Avec Matisse – et Alin Anseeuw l’a compris – il n’y a plus de place pour la maladie de la mort par le « moteur figuratif » que l’artiste a enclenché. Dès lors la souffrance du roi n’est que l’outrecuidance de son orgueil. Et celle du peintre est la diagonale du fou contre l’ordre temporel. Par cette entrée secrète des papiers découpés, donc hors langage, la peinture fit retour en elle-même par ce qu’elle n’était pas. Elle devint à son corps défendant parfaite et par son illumination : génialement obscure mais loin de tout néant.

©Jean-Paul Gavard-Perret

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Philippe Boutibonnes, La lumière offusquée, De l'ombre

9/8/2013

 
Paru dans lelitteraire.com
Philippe Boutibonnes : bestioles et revenants, ombres et lumières
Comme le Maître Puce d’Hoffman auquel il a consa­cré un article fon­da­men­tal, Phi­lippe Bou­ti­bonnes fait de cha­cun de ses livres des décli­nai­sons d’un voyage exis­ten­tiel où le rêve et la réa­lité ont fort à faire pour s’accorder. Et ce, pour notre plai­sir mais aussi pour notre intel­li­gente. Par « ses exercices d'imbécilité » - qui le reposent de ses tra­vaux scien­ti­fiques… -, l’auteur accorde un sup­plé­ment de vita­mine C à nos neu­rones. Certes, chaque voyage a ses limites et sa fin. C’est pour­quoi les livres de l’auteur le découpent en tron­çons. Il sera inté­res­sant aux futurs cher­cheurs d’en défi­nir le sens. Car si le tra­vail scien­ti­fique de Bou­ti­bonnes est objet de nom­breuses thèses, ses tra­vaux poé­tiques, lit­té­raires et artis­tiques le méritent tout autant.

Chaque texte pro­pose une voix-fable dont les mélo­dies peuvent sem­bler par­fois insai­sis­sables. Leurs « coui­ne­ments sans timbres » peuvent frap­per de stu­peur les lec­teurs qui com­prennent sou­dain com­bien la vérité est tou­jours dif­fé­rée dans l’effacement pro­grammé, mais non dans la nul­lité. Un, plus que zéro, atteste du pas­sage, des traces, des cendres que chaque livre laisse. Tout alors se res­semble puis se ras­semble. Tout se résou­dra pro­ba­ble­ment dans l’unité totale de l’œuvre dont — nous l’espérons pour l’auteur — la fin est encore très loin.

Scien­ti­fique, c’est en se pré­sen­tant lui-même via une cita­tion d’Hölderlin « poé­ti­que­ment » qu’il habite cette terre. Dans Ritratto il fait son por­trait : « Je m’appelle Phi­lippe Bou­ti­bonnes. / Je suis né le 7 Juillet 1938 à Avi­gnon : / de cela je suis sûr, on me l’a dit… / Mais déjà, dehors : orée des poux, / halè­te­ments de hyène, corps au rebut, / voyelles taries, bottes, cendres, / brouillard, mille peurs et plus… / J’habite Caen : ce n’est ni Lucques, ni Prague, ni Dublin. Ville sans méandres, / sans cou­leurs, sans odeurs. / Que je déteste… / Ma vie ? Ce rac­courci délé­bile / (1938–20..), un point c’est tout. / Depuis ? Des restes. Quelques “et / cae­tera”; / quelques traits que je / m’efforce de tra­cer pour trom­per mon attente. / Peut-être que je mour­rai un jour ? / Peut-être… Pour­quoi pas?… »

Ces « quelques traits » prouvent que le plas­ti­cien et micro­bio­lo­giste est un écri­vain majeur. Après un pre­mier et superbe ouvrage de poé­sie paru chez Maeght, il s’est fait connaître avec Le Beau Monde.  Plus récem­ment, les éditions de l’Ollave on publié de superbes livres de l’auteur. Eve Gra­ta­matzki tout d’abord. Ce livre est une médi­ta­tion sur l’œuvre de l’artiste dis­pa­rue en 2003. « Nous sommes débi­teurs à l’égard des morts, à l’égard de ceux qui nous ont quit­tés, nous aban­don­nant pau­vre­ment vivants et inapai­sés, cou­pables — oui, cou­pables — de n’avoir pas su les convaincre de conti­nuer à vivre » écrit Bou­ti­bonnes. Son livre relance un impos­sible dia­logue avec la créa­trice comme il l’avait déjà fait avec Sarah Kof­mann (exé­gète de Nietzsche, Freud et Der­rida). Par delà la culpa­bi­lité, Bou­ti­bonnes ne pas retient d’Eve qui elle fut car il s’aperçoit qu’il l’ignore mais il rat­trape l’essentiel : « les images de l’artiste amie telle la scène fur­tive et hal­lu­ci­na­toire /qui relègue dans l’oubli les images de la petite enfance. / les lieux où elle vécut et tra­vailla / ses lec­tures (Duras, Beckett, Höl­der­lin) / ses gestes et tech­niques / ses ani­maux et ses cris de déses­poir / ses œuvres enfin qu’il évoque avec le souci de la matière, de l’infime côté savant et la /profondeur de champ, Eve est intacte et inen­ta­mée dans le moment et le mou­ve­ment du dessin ».

Tous les livres du poète sur­montent le temps qui passe, l’angoisse, le néga­tif comme le prouve encore le superbe La lumière offus­quée, de l’ombre . L’artiste donne un sens et un savoir poé­tique à notre désen­chan­te­ment indi­vi­duel et col­lec­tif par « la danse joyeuse des par­ti­cules et des pho­tons ». Ils res­tent pré­sents même au fond du néant et per­mettent d’explorer des marges dif­fé­ren­tielles par rap­port aux pro­po­si­tions consen­suelles de l’imaginaire à la mode. Pour Bou­ti­bonnes (c’est ras­su­rant pour cer­tains mais angois­sant pour d’autres), la fin n’est qu’une suite man­quante et « tout recom­mence ailleurs ». Il existe donc pour lui des conti­nui­tés évidentes de lieux, de per­son­nages et d’auteurs. Par exemple, Aris­tote, Leib­niz, Hus­serl, Buf­fon, Flau­bert, Ducasse, Kafka, Beckett, etc.). Le monde comme l’art et la lit­té­ra­ture et la science demeurent un per­pé­tuel réen­gen­dre­ment que seule notre myo­pie intel­lec­tuelle empêche de com­prendre. A ce titre, nous ne sommes pas plus avan­cés que les monstres ché­ris de l’auteur : mouches et autres dory­phores et scarabées.

Pour ce scien­ti­fique de plain-pied dans l’ère du numé­rique, la fin du livre n’est pas pour demain – et ce, même à l’échelle tou­jours plus ou moins micro­sco­pique du vivant qui sent la mort dans tous les sens du verbe. Chaque livre reste une trame qui mêle à pro­fu­sion le savant et le tri­vial, le délire au sérieux, l’homme à l’animal, le com­mu­niste ou le saint. Tel celui que l’auteur décons­truit dans un de ses textes les plus connus : « Fons est cru­ci­fié– le bas, le torse et les bras. La tête est posée sur le ventre, pres­sée par une pierre chauf­fée à blanc. Fumée par­tout. Odeur âcre. Les clous sortent d’eux-mêmes du bois. Fons ne demande pas son reste : il prend ses jambes à son cou, la tête sous un bras et fonce. « Tu fonces où, Fons » crie un badaud pour acca­bler le saint. »
Selon Bou­ti­bonnes, ce der­nier est moins inté­res­sant que l’animal : « C’est les bêtes que j’interroge : l’homme, je ne peux le connaître sui gene­ris, je suis dedans depuis pas mal de temps, 7 j / 7 comme au Mac Do. Je ne peux m’en extraire. Je consi­dère alors ce que j’ai été avant d’être celui que je suis : je tiens à la ruse de l’axolotl ; à sa face hilare, plan­tée comme un lit­chi éplu­ché et fen­due de joue droite à joue gauche ». Pour autant, le centre autour duquel tournent les textes de l’auteur sont des femmes et des hommes. Ils peuvent avoir des noms dou­teux mais il y a aussi des Solange « sol-air » qui ne sont en rien des sales anges si ce ne sont celles ou ceux (Ah, le sexe des anges…) de peurs anté­rieures qui ramènent au Adam d’«après la culbute». Qu’importe au demeu­rant. L’être vit aux dépens de celui qui l’écoute puis qu’il perd en le quit­tant. C’est cruel. Mais qu’on se ras­sure cha­cun de nous dis­pa­raî­tra à son tour. Nos para­sites idem. Poux en tête.

Lire notre entre­tien avec l’auteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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